Géologie du Tarn

 


Un savant du XVIIème siècle : Pierre Borel (environ 1620 – 1671)


Le médecin castrais Pierre Borel est bien représentatif de ces esprits intéressés aux sujets les plus divers qui se manifestent dans l’Ouest de l’Europe après la Renaissance et que va favoriser la Réforme. Pour compliquer la situation, il existe trois savants du nom de Borel, tous trois gradués en médecine et sensiblement contemporains, ce qui a entraîné maintes confusions. Giovanni Alfonso Borelli (1608 – 1679) alias Borel, fut l’un d’eux : ce médecin, mathématicien et astronome italien, publia en 1670 une belle étude du Vésuve. La confusion est plus habituelle (elle le fut dès le 18ème siècle et elle continue à l’être !) entre notre Pierre Borel et Jacques Borelly (1623 – 1689) alias Borel, médecin lui aussi et fils d’un marchand de Villefranche-de-Rouergue. Le Dr P.Chabbert avait pourtant bien différencié les deux personnages : ce Jacques Borel, chimiste médiocre, fabricant de verres d’optique et à l’occasion astronome, fit partie en 1670 de l’Académie des Sciences de Paris. La confusion de Jacques Borel avec notre Castrais était d’autant plus facile que Pierre, lui aussi médecin, vécut un temps dans la capitale (cf. P.Chabbert, Revue Hist. Sciences, 1968, XXI, n°4). Il y publia divers ouvrages de littérature, de chimie, et même d’optique astronomique.

Pierre Borel était d’un milieu cultivé. Il nous apprend que son père, prénommé Jacques, avait écrit des poèmes. Protestant convaincu et en ayant souffert – régent au Collège de Castres, il fut révoqué en 1664, ses affaires étant défénestrées ! - , Pierre Borel était satisfait de son savoir. L’homme se trahit quand il reproduit le texte du psaume 92 : « Joye, ô Dieu, m’ont livrée / Tes ouvrages très-Saincts, / Dont ès faits de tes mains / … / A ceci rien connoistre / Ne peut l’homme abruty, / et le sot abesti / Ne sçait que ce peut estre. »

Dans ses « Antiquitez, raretez, plantes, mineraux et autres choses considérables de la Ville et comté de Castres d’Albigeois et des lieux qui sont à ses environs… » (Arnaud Colomiez, impr. Castres, 1649, 150 p. en 2 livres) (télécharger un extrait au format pdf) , Borel s’avère naturaliste dans les quelques pages qu’il consacre à ses observations de terrain, qui ne dépassent jamais Lautrec ou Réalmont. Un chapitre (p. 66 – 73) s’intitule « Des pierres, et autres mineraux du terroir de Castres, et des merveilles d’iceux, et particulièrement du roc qui tremble et des priapolithes ».

Première « merveille », la « pierre de Sidobre » (le mot de « granit », depuis peu introduit en français, n’est pas utilisé par Borel), avec son « infinité de Rochers monstrueux en grandeur » : la « sale des pains blancs », la « chaire de St-Dominique », le « roc de peire Poul » ! Il précise l’usage de la roche : meules de moulin, auges, pierres de foyer, pierre à bâtir. Rappellant que les poètes y avaient vu une pluie de pierres du ciel, Borel est plus réaliste en estimant que les roches du Sidobre ont été dégagées de la « terre » et que c’est l’effet du « déluge universel », notion imposée par les Ecritures.

Seconde « merveille » du pays, le « Mont de Puytalos que nous pouvons appeler monts des Priapolithes, à cause qu’il est rempli de pierres longues et rondes, en forme de membres virils ». Borel précise : « cette pierre […] si on la coupe on y trouve un conduit au centre plein de cristal [il s’agit de calcite, forme usuelle de carbonate de chaux], qui semble estre du sperme congelé, aux uns on trouve des testicules attachez , d’autres sont couverts de veines, et d’autres montrent le Balanus [« balanus » = gland], et sont rongez, comme estans eschapes de quelque maladie venerienne ». Ceci étant, « on pourroit dire que nos Priapolithes ont vertu pour les maladies veneriennes ». Outre ces « membres virils avec des testicules », on trouve aussi « des matrices de femmes changées en pierre… ».

En fait ces divers corps dits « priapolithes » sont des concrétions au sein de la marne gréseuse d’âge éocène, associée au « Calcaire de Castres » âgé d’environ 40 M.a. On trouve aussi « au mesme lieu des pierres de Melon, escorce de Citron, coquilles, os, amandes et rognons petrifiez, que je garde dans mon cabinet… ». Et le garde-manger se complète quand le Roc de Lunel « qui est fort prez de Castres [se montre] tout remply de limaçons petrifiez, de trois especes de pierres en forme d’Olives et de dragees, et même j’y ay trouvé un ver changé en pierre. »

Ce naïf anthropomorphisme de Borel se retrouvera au 18ème siècle chez d’authentiques savants. Il nous est facile aujourd’hui d’en sourire.

Observation plus importante, celle des « limaçons », que le Castrais cite aussi à Lautrec (1649, tome II, p. 98) : « Il s’y trouve du Marbre [en fait de simples calcaires] et des Limaçons marins blancs et noirs petrifiez, en tres-grande quantité […] les gens de ce lieu les appellent des pardons… ». Un début de discussion apparaît à leur sujet : « C’est une chose bien estrange qu’ès lieux esloignez de la mer comme celui-cy, la nature produise du coquillage, et on ne peut dire sur ce sujet, sinon que quelque constellation apte a la generation des coquilles, fait là, le mesme effet que sur la mer, mais faute d’eau salée, elle ne les produit pas en vie ». « Ou il faut dire que ce lieu a jadis esté mer, ou que le déluge universel laissa en cét endroit ces limaçons qui s’y sont depuis petrifiez par la succession du temps ».

Borel envisage ainsi trois hypothèses pour ses « limaçons », qui sont des Gastéropodes fossiles (Helix = escargots, limnées, planorbes,…) englobés dans les vases calcaires du grand « lac » oligocène de l’Albigeois : ou bien il s’agit de corps inanimés dus à l’action des astres (et la volonté sous-jacente du Créateur), ou bien de vraies coquilles d’organismes ayant vécu dans une « mer » (il faut traduire : « lac »), soit là où on les rencontre, soit qui y ont été amenés par le « déluge » de la Bible.

Borrel énumère aussi les ressources minérales connues à son époque « ez autres quartiers proches de notre Ville », sans séparer roches, minéraux et minerais. Ressources minières : des « mines [au sens de minerais] de cuivre à Saint-Jean etc. », des « mines de plomb meslées a d’argent, et de l’argent de paillettes dans l’Agoust », de la mine d’argent et de la mine de vitriol blanc [=sulfate de zinc] à Réalmont [à Peyrebrune ?] et – fait ignoré par les minéralogistes actuels – de la « mine d’orpiment » [=sulfate jaune d’arsenic] à « Dorgne » [=Dourgne]. Il cite aussi des marcassites [concrétions radiées de sulfure de fer] à « Gouriade » [=Gourjade ?] et « à La Bruguière ». Comme produits utiles à la construction, « beaucoup de pierre de taille, et pierre à chaux », du « bon bol à Lunel » : ce terme de « bol » devait qualifier une argile marneuse, pouvant servir à englober les médicaments de l’époque. Borrel cite aussi une matière voisine, « terre blanche et grasse dont on pourroit faire de vaisselle fort esquise en divers endroits ». Sont citées, en tête de tous les autres « mineraux », « des pierres d’Aigles pres du pont du Fraisse » : il peut s’agir de concrétions ferrugineuses rougeâtres dont l’enveloppe se détache d’une sorte de noyau central de même nature. « Si l’on en croit les bonnes gens [écrit le Dictionnaire de l’Académie de 1798 (t. II, p. 286)], cette pierre a la vertu de faire venir à terme le fruit ou l’enfant que porte une femme enceinte ». Il est possible que le médecin Borel ait, en 1649, partagé cette singulière opinion !

L’ouvrage s’achève par un « Catalogue » du Cabinet de Curiosités de « Maistre Pierre Borel » (t. II, p. 132 et suite). Il y cite divers fossiles, pouvant d’ailleurs être étrangers au Castrais : « deux pierres à estoiles où astroites » [restes de Polypiers ?], la « pierre Hammonite » et « la pierre Entrechos » [les ammonites et les entroques - articles de tiges de crinoïdes – les plus proches sont en Grésigne]. On trouve aussi « diverses coquilles de mer, changées en pierre […] des tellines et des moules ».

Que conclure de ces pages consacrées au règne minéral par le médecin castrais ? Nous sommes en plein siècle de Louis XIV. Les observations de Borel et l’édition de son ouvrage sont antérieures aux premiers groupements scientifiques en France, l’Académie des Sciences elle-même ne se développant à Paris qu’au milieu du 17ème siècle. Notre homme n’indique pas les sources de sa connaissance sur les « pierres » . L’aurait-il obtenue lors de cours de « chimie » que pouvaient comporter les études de médecine à l’université de Cahors ? Il a en tout cas pu lire les ouvrages de deux auteurs du 16ème siècle aux idées prémonitoires : son coreligionnaire Bernard Palissy, sur les fossiles, et l’allemand « Agricola », sur les minerais.
N’essayons pas cependant de considérer Pierre Borel pour autre chose qu’un collectionneur érudit, tout en le créditant d’avoir admis la possibilité de l’origine organique des fossiles animaux, que certains nieront encore au siècle suivant.


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Il est utile de signaler qu'il s'agit de Borel avec 1 seul r, et non Borrel (même si la rue de ce nom à Castres a 2 r !). Il en est de même de Jacques Borelly, alias Borel (cf. Pierre Chabbert "Jacques Borelly (16..-1689), membre de l'Académie royale des sciences" in Revue d'histoire des sciences et de leurs applications, Paris, P.U.F.).

A. Balssa